Je vous souhaite la bienvenue à cette conférence dédiée à la mémoire du Dr. Ghassemlou. Je remercie de tout cœur l’Institut Kurde de Paris d’avoir organisé ce prestigieux événement et le Sénat français de l’avoir accueilli. Le fait que ce soit l’Institut kurde de Paris qui procède à l’organisation d’une telle cérémonie et que le Sénat français soit le lieu où elle se déroule est tout à fait normal. Nous connaissons l’amitié nouée entre le Dr. Kendal Nezan et le Dr. Ghassemlou et le fait que Ghassemlou a très activement contribué à la réflexion et aux démarches qui ont conduit à la création de l’Institut kurde de Paris. Par ailleurs, c’est en France que Ghassemlou avait voulu, quand il était jeune, poursuivre ses études universitaires. La France est aussi le pays avec lequel Ghassemlou avait le plus d’affinité, pays dont il connaissait la langue, l’histoire et la culture plus que tout autre pays.
J’eus l’honneur d’être pendant 19 ans l’ami et le collaborateur proche, ou devrais-je plutôt dire l’élève, du Dr. Ghassemlou. Cela me permit de garder d’innombrables souvenirs de lui, dans des moments heureux comme dans des épreuves difficiles, pendant toutes ces années de la vie et du combat de ce grand leader du mouvement kurde en Iran. Ceci étant, comme le suggère l’Institut kurde, je vais limiter mon intervention à la période où nous étions à Bagdad, c’est-à-dire avant la Révolution iranienne de 1979.
Si Ghazi Mohammed (Président de la République kurde de Mahabad) fut le fondateur de notre Parti, le Dr. Ghassemlou permit son renouveau et lui donna la forme et l’identité qu’on lui connait aujourd’hui. Avant que le Dr. Ghassemlou ne prît la direction du PDK (Iran), le Parti était en miettes et inactif ; il n’existait plus que dans la mémoire de ses membres et dans l’imaginaire de la population du Kurdistan. Ghassemlou vint pour redonner vie à notre Parti. Et pour commencer, avec l’aide de certains de ses compagnons de route, il remit ensemble les différents morceaux de la base et de l’appareil du Parti. En parallèle à cette unité organisationnelle retrouvée, le Dr. Ghassemlou œuvra également pour réaliser l’unité politique du Parti en entamant un travail continu de réflexion et d’éducation au sein du Parti. En particulier, l’éducation des cadres, y compris des membres du Comité central, était pour le Dr. Ghassemlou le moyen le plus efficace de la modernisation du Parti.
Ghassemlou apprit à ses camarades à refuser le despotisme et le culte de la personnalité au sein du Parti et à définir la ligne politique et les orientations générales du Parti sur la base de la délibération collective. Ce fut lui qui nous fit comprendre qu’il fallait mettre l’intérêt général avant les intérêts particuliers. Il disait toujours : « Avant de nous demander ce que le Parti fait pour nous, nous devons nous demander ce que nous faisons pour le Parti ».
Ghassemlou était également le père de l’indépendance politique et idéologique de notre Parti. Il nous apprit à chérir l’indépendance plus que tout autre chose. Il affirmait toujours : « L’indépendance politique et le fait d’avoir des amis ou des alliés sont tous deux importants. Mais si un jour nous devions sacrifier l’un à l’autre, nous conserverions notre indépendance car si nous protégeons notre indépendance, nous pourrons toujours avoir des amis ».
Par la suite, la fidélité à ce principe se vérifia continuellement dans la vie de notre Parti. Alors qu’il avait des relations avec le gouvernement irakien, nous n’acceptâmes jamais de faire alliance ou de coopérer illégitimement avec ce dernier. Les responsables du régime irakien, y compris Saddam Hussein lui-même, demandèrent plusieurs fois à ce que le Dr. Ghassemlou apparût à la télévision d’État avec le Président irakien. En vain. Et pour cause, disait le Dr. Ghassemlou : «Quand tous les jours au Kurdistan Irakien on arrête et on tue les Kurdes et on détruit leurs maisons, si je me montre avec le chef de l’État irakien, que vais-je répondre à l’opinion publique de cette partie du Kurdistan ?»
Dans la continuité de cet héritage précieux que le Dr. Ghassemlou nous laissa et malgré toutes les difficultés rencontrées, notre Parti ne dit et ne fit jamais rien qui puisse nuire aux intérêts des Kurdes et des autres peuples de l’Irak.
Ghassemlou était un homme de gauche et un démocrate qui luttait pour les droits nationaux du peuple kurde. Ses deux grands objectifs étaient la libération nationale et la réalisation des droits socio-économiques de son peuple. Il avait expressément inséré dans le programme du Parti le principe selon lequel la lutte nationale et le combat pour l’égalité sociale devaient avancer côte à côte. Pour lui, la lutte pour la libération nationale ne devait en aucune manière se faire au détriment de la lutte pour les droits sociaux des couches défavorisées.
La contradiction, encore existante chez certains, entre le fait d’être kurde et le fait d’être iranien était bien résolue pour Ghassemlou. Alors qu’il n’avait nullement honte de se dire iranien, il n’avait pas pour autant peur de dire que les Kurdes étaient une nation différente de toute autre nation et qu’ils avaient le droit de vouloir leur propre Etat indépendant.
Avant que le Dr. Ghassemlou ne fût placé à la tête de notre Parti, mises à part quelques relations déséquilibrées avec certains partis kurdes ou iraniens, le Parti Démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI) n’avait pratiquement pas de relations avec le monde extérieur. Mais le poids et la sagesse personnels de notre leader permirent de redonner à notre Parti le respect et le prestige qu’il méritait. Avec Ghassemlou, notre Parti sut établir et conduire, sur les plans kurde, iranien et international, des relations vastes et solides avec d’autres organisations ou États sur la base du respect mutuel et tout en sauvegardant son indépendance politique. La qualité de ces relations montrait bien le prestige et l’influence de notre Parti. À la même période aussi, très rapidement, notre Parti entra en relation avec nombre d’organisations politiques du Moyen-Orient et des États européens. Comme à cette époque la direction de notre Parti était basée à Bagdad, Ghassemlou eut l’opportunité d’établir des relations avec les ambassades étrangères, notamment celles des pays socialistes. Chose qui était considérée à cette époque comme un succès pour une organisation d’opposition kurde et iranienne et plus généralement pour les peuples opprimés.
L’influence et le charisme du Dr. Ghassemlou ne se cantonnaient pas à la seule sphère du combat du PDK iranien. Il était très respecté et écouté dans les milieux politiques kurdes et irakiens de cette époque. En particulier, dans les tentatives de règlement du conflit qui opposait le mouvement kurde en Irak et le gouvernement baasiste, Ghassemlou joua un rôle important. Ainsi, dans le but d’aider au succès des négociations et d’éviter que la guerre n’éclatât de nouveau, Ghassemlou conduisit feu Idriss Barzani à Bagdad. Ce fut aussi à la demande de Kak Idriss et avec l’accord du gouvernement irakien que, pendant toute la durée de ces négociations, Ghassemlou accompagna la délégation kurde et participa à toutes les réunions. Comme au retour Kak Idriss était inquiet pour sa sécurité, Ghassemlou l’escorta jusqu’à Kirkuk et ne rentra à Bagdad que quand Kak Idriss eut retrouvé ses Peshmergas.
Pour l’histoire, lors de la dernière tentative de résolution du conflit, un comité de trois membres fut créé afin de trouver une solution médiane au problème de Kirkuk. Les membres de ce comité étaient Khasro Tofik pour le PDK, Ghanem Abuldjalil pour le Parti Baath et le Dr. Ghassemlou. Le comité proposa aux deux parties trois alternatives comme solutions possibles à la question de Kirkuk. Mais aucune ne fut retenue par les parties et malheureusement la guerre reprit avec toutes ses conséquences néfastes pour les Kurdes d’Irak car les dommages subis par les Kurdes dans cette nouvelle guerre furent bien plus importants que tout ce que les Kurdes d’Irak avaient subi pendant les neuf ans de conflit.
Les efforts du Dr. Ghassemlou pour le rapprochement des différentes parties du mouvement kurde même dépassèrent ce cadre strict puisqu’en 1977, profitant de son vaste réseau de relations avec l’ensemble des partis politiques kurdes, il fit un pas historique pour l’unité kurde. Cette année-là, le Dr. Ghassemlou organisa une réunion avec la participation de la plupart des organisations politiques kurdes à Beyrouth et y posa les fondements d’un large front kurde. Lors de cette réunion le projet de programme de ce front que Ghassemlou avait préparé fut adopté et mission fut donnée au Parti Démocratique du Kurdistan d’Iran de contacter, dans les trois mois, tous ceux qui n’étaient pas présents à la réunion de Beyrouth afin recueillir leur avis sur le projet. Finalement, l’évolution de la situation politique dans la région et les divergences entre les grands partis politiques kurdes ne permirent pas à cette tentative de front uni kurde de voir le jour.